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Enfant talibé : qui es-tu ?

Nous sommes venues à ta rencontre pour te connaître. Aujourd’hui nous quittons le Sénégal en t’emmenant dans nos cœurs. Alors, en attendant notre prochain vol nous ne pouvons nous empêcher de t’adresser ces quelques mots.

 

Enfant talibé, qui es-tu ? 

 

Toi, enfant que l’on croise à tous les coins de rue, petit bol précieux à la main, à mendier pièces, sucre et riz pour ton marabout. Mais est-ce ta seule véritable quête ? Toute la journée tu croises beaucoup de personnes, mais combien croisent ton regard ? Tu es un enfant du silence mais pourtant si visible. Alors nous posons notre regard sur toi. « No to do ? » (Comment t’appelles-tu ?). Un prénom chuchoté : les prémices d’un échange. Rapidement un sourire se dégage sur ton visage, des petits mots en wolof se prononcent, tu ris, tu pétilles.

Toi, enfant rencontré au marché. Tu nous interpelles en nous demandant une orange. Une simple orange.

 

Toi, autre enfant au marché, tu nous arrêtes, on se reconnaît. Tu viens au centre qui est pourtant si loin. Tu passes la majeure partie de ta journée à marcher. Tu es si jeune, tu as dix ans. Mais tu aurais pu en avoir quatre, huit ou quinze. Comment vis-tu cette séparation avec ta famille, toi qui a longtemps été porté dans le dos de ta maman ? 

 

Toi, enfant en larmes qui te mets en danger en traversant la route, pourquoi pleures-tu ? Tu souhaite du riz cru dans ton petit bol vide.

Toi, enfant qui erre dans la gare routière chantant des prières de véhicule en véhicule. Tu t’arrêtes à notre taxi-bus et tu entonnes ta religieuse mélodie. Ta voix cristalline nous traverse et nous boulverse. Venu à notre fenêtre, Rowanne t’adresse un chant. Tu souris, surpris, et t’en vas bol à la main. 

 

Toi qui vit dans un daraa, lieu où tu apprends et récites ta religion musulmane qui fait partie de toi. Ton marabout te transmet son savoir coranique. Particulièrement estimés au Sénégal, ils ne sont pourtant pas tous bienveillants. Tu vis avec tes compagnons, parfois rivaux parfois amis. Avec un rythme soutenu, ton quotidien n’est pas facile.

 

Ton matelas est à même le sol, bien souvent à l’extérieur avec les animaux. Tu peux subir des maltraitances de toutes sortes et vivre dans des conditions d’hygiènes précaires. Es-tu suffisamment nourri ? Comment comprends-tu que les propres enfants du marabout vivent dans une maison décente et récupèrent souvent même le peu de vêtements que tu arrives à acquérir ? 

 

Toi, enfant à l’identité parfois perdue, tu peux être sacrifié pour permettre la réalisation de souhaits. On nous a parlé de toi car c’est actuellement les présidentielles et ta vie peut être utilisée pour favoriser l'élection d'un candidat. Fais bien attention à toi. 

 

Toi, enfant qui sait que tu peux venir toquer à la porte d’une famille sénégalaise pour déguster un bon plat typique, comme chez notre famille d’accueil. Nous profitons de ces moments pour rire avec toi et instaurer avec le temps des petits rituels entre nous. 

 

Toi, enfant qui dès le matin est à cette même porte, comme il peut être agréable d’attendre notre taxi en chantant en ta compagnie. 

 

Toi, enfant que nous retrouvons au centre, ce lieu qui t’appartient, tu as ta place là-bas et tu vis ta vie d’enfant. L’espace d’un moment tu es dans cette bulle de vie. 

 

Toi, enfant qui fait la queue et nous salue avant de savourer un petit déjeuner, tu nous as appris le partage. Tu donnes volontiers le reste de ta boisson ou de ton pain à un autre enfant, parfois même qui n’est pas talibé. Tu nous as beaucoup enseigné et impressionné.

 

Toi, enfant qui vient prendre ta douche, alors que tu grelottes d’avance. Le savon, l’eau et l’étalage du karité deviennent jeux pour toi. Nous rions ensemble.

 

Toi, enfant avec ton petit corps malade ou blessé, tu viens pourtant rechercher les soins malgré la douleur. Tu es d'un courage exceptionnel. Nous avons appris à soigner ton corps et peut être même ton coeur ? Combien de fois t'endors-tu épuisé ? Peut-être as tu apprécié la douceur sur ton corps avec les massages au karité et les petites chatouilles. Ne serait-ce pas uniquement ce que tu devrais connaître ? 

 

Toi, enfant qui attend impatiemment un ballon, un chant, une lutte sénégalaise, des lectures d'histoires, tous ces moments d'authenticité. Tu as encore de si belles choses à vivre dans ce centre du bonheur. 

 

Toi, enfant, aujourd'hui nous parlons en ton nom et remercions infiniment toutes ces personnes qui oeuvrent pour toi au Centre Pour Une Enfance Sénégal et ailleurs, pour ta vie, pour des instants de joie. 

 

Nous remercions aussi tous ces sénégalais qui veulent que vos conditions changent. 

 

Toi, Modou, Moor, Mustapha, Abdou, Bakari, Babou, Dam, Aladge et tous les autres, nous t'admirons, enfants du courage. Crois en toi et en tes rêves. Garde espoir, nous t'aimons. Niofar.

 

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